Communiqué de presse
L’épopée impressionniste a souvent été résumée à une conquête de la lumière en peinture par une génération d’artistes las de l’obscurité de l’atelier et des sombres sujets historiques traditionnels. Pourtant, les composantes de cette lumière, c’est-à-dire les couleurs à la disposition du peintre et leur emploi, n’ont pas reçu l’attention qu’elles méritent. Les impressionnistes, au fil de leurs recherches, vont développer une science toute particulière de la couleur, résultat d’expérimentations sur le motif ou dans l’atelier, mais aussi fruit d’une connaissance intime des maîtres de la tradition « coloriste » et de certaines théories scientifiques de l’époque.
A travers une suite de salles traitant chacune d’une couleur en particulier, l’exposition tente de montrer comment l’éclaircissement de la palette, le travail sur la vibration lumineuse, a non seulement été un enjeu de la première heure pour les impressionnistes, mais aussi comment ces recherches ont évolué dans le temps, au fil des carrières et des interrogations propres à chaque artiste. Une chronologie chromatique se dessine, et la couleur impressionniste apparaît moins comme le résultat d’une « impression naïve » (selon les mots de Claude Monet à Lilla Cabot Perry) que comme le fruit de choix, d’intentions variées.
Parcours de l’exposition
Au XIXe siècle, en France, se succèdent les régimes politiques et les révolutions artistiques. A mesure que le pays chemine vers la démocratie et la République, les arts embrassent la réalité de leur temps et les transformations de la société. Les mouvements romantiques et réalistes ouvrent la voie, mais il revient à l’impressionnisme d’avoir définitivement fait basculer la peinture dans la modernité et de l’avoir libérée des conventions héritées de la Renaissance et de l’Âge classique.
Le mouvement naît officiellement en 1874. Cette année-là, les peintres Cézanne, Degas, Monet, Morisot, Pissarro, Renoir et Sisley organisent à Paris une exposition indépendante en marge du Salon officiel. Cette première manifestation est un choc : pour moquer une peinture de Monet jugée trop esquissée et intitulée Impression, soleil levant, un critique emploie le terme d’« impressionniste ». Jusqu’en 1886, huit expositions sont organisées, malgré les divergences croissantes entre les artistes qui, au cours des années 1880, s’engagent dans des voies plus personnelles. Après une période difficile, où les impressionnistes ont surtout compté sur le soutien d’un petit groupe d’amateurs, le tournant du xxe siècle voit ces peintres accéder au succès.
Cette épopée artistique est aussi l’histoire de découvertes et de conquêtes, celles des sujets modernes, de la lumière vraie et de la puissance expressive des couleurs. A travers une sélection de chefs-d’œuvre issus des collections du musée d’Orsay, l’exposition montre comment les impressionnistes ont réinventé l’art de peindre grâce à une maîtrise particulière des couleurs, fruit d’expérimentations en plein air mais aussi d’une connaissance intime des maîtres de la tradition, comme Delacroix, et de certaines théories scientifiques de leur époque.
« Les couleurs de l’impressionnisme » est la première exposition organisée au Maroc sur ce mouvement majeur de l’histoire de l’art.
De l’ombre à la lumière : le noir
Le noir et les tons de terre jouent un rôle important dans la peinture française des années 1850-1860. La vogue pour les maîtres de la peinture espagnole ou hollandaise du XVIIe siècle entraîne également les jeunes peintres à réduire leur palette à quelques accords de noir, blanc, gris, brun et rouge. « Les grands coloristes savent faire de la couleur avec un habit noir, une cravate blanche et un fond gris » écrit le poète Charles Baudelaire.
Edouard Manet, fervent admirateur de Velázquez et de Goya, révolutionne la peinture de son temps en remplaçant le traditionnel modelé académique par de violents contrastes d’ombres et de lumières. Le noir, appliqué en touches épaisses, n’est plus une absence de couleur mais une véritable matière colorée à part entière. Elle renvoi la lumière, et fait dire à Camille Pissarro « Manet est plus fort que nous tous, il a fait de la lumière avec du noir ».
La peinture claire
Une nouvelle génération d’artistes, qui fait ses débuts sur la scène artistique parisienne pendant les années 1860, tente de rompre avec les conventions et le travail en atelier en privilégiant l’art du paysage et en adoptant une palette délibérément plus lumineuse, fondée sur la peinture sur le motif.
Le goût pour la lumière amène les impressionnistes à choisir pour sujets des motifs nouveaux. Les sous-bois ombragés sont remplacés par des jardins largement ensoleillées, par des paysages fluviaux ou de bord de mer, ou encore par des vues urbaines modernes. Le plein soleil, qui permet de réduire les zones d’ombre, est particulièrement recherché, tout comme les ciels voilés qui baignent la nature d’une lumière douce et égale.
Ces artistes fatigués de voir leurs tableaux refusés par le jury du Salon officiel, organisent une première exposition collective en 1874. A cette occasion, un critique d’art moqueur les affuble du nom d’«impressionnistes ».
Le blanc
La représentation de la neige est particulièrement prisée des impressionnistes dans les années 1860 et 1870. Traduire les nuances d’un paysage recouvert d’un uniforme manteau blanc, c’est relever le défi de traduire les infinies nuances de la lumière sur une matière monochrome dont la pâte du peintre devra rendre la légèreté.
Le blanc de la neige offre également aux artistes, informés de certaines théories scientifiques, un support parfait pour leurs expérimentations sur les ombres colorées et les couleurs complémentaires. En effet, depuis la fin du XVIIIe siècle, les théoriciens ont mis en évidence la coloration des ombres et les rapports d’oppositions entre couleurs dites primaires et secondaires : au jaune s’oppose le violet, au rouge le vert, au bleu l’orangé ; contrastes considérés comme harmonieux où les deux couleurs associées s’exaltent mutuellement. Ainsi, dans les paysages de Monet ou Sisley, lorsque le soleil diffuse une lumière jaune-orangée, les ombres bleuissent.
De verts et de bleus
Le genre du paysage fut largement pratiqué par tous les impressionnistes. Monet, Renoir et Sisley s’attachent à peindre les bords de la Seine à l’Ouest de Paris, d’Argenteuil à Bougival, où les parisiens font du canotage. Pissarro et Cézanne, au Nord-Ouest, plantent leur chevalet autour de Pontoise et dépeignent une campagne rurale et ses paysans. Si leurs couleurs dominantes restent le vert et le bleu, comme elles l’étaient déjà pour les générations antérieures, elles se nuancent ainsi d’une multitudes d’autres teintes. Les impressionnistes se mettent aussi au défi en choisissant des sujets complexes : les ciels changeants et les eaux mouvantes.
Amateurs de couleurs non mélangées, plus lumineuses, les impressionnistes peuvent compter sur de nouveaux pigments mis au point grâce aux progrès de la chimie. Ainsi par exemple les ternes mélanges traditionnels de bleu, de jaune et de tons de terre sont progressivement remplacés par des pigments verts synthétiques brillants (vert Véronèse, vert émeraude).
« D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme »
La nouvelle génération des néo-impressionnistes, celle de Georges Seurat et Paul Signac, émerge publiquement lors de la dernière exposition du groupe impressionniste, en 1886. Souhaitant pousser plus loin et rationnaliser les expérimentations colorées de leurs aînés, d’Eugène Delacroix à Monet, les néo-impressionnistes imaginent une technique inspirée par les théories scientifiques de Michel Eugène Chevreul ou Ogden Rood. A ce principe, les néo-impressionnistes associent celui du mélange optique. Un violet ne sera plus obtenu par mélange de pigments rouges et bleus, mais par la juxtaposition de touches rouges et bleus, qui dans l’œil du spectateur, forment le violet. Avant les impressionnistes, Delacroix avait donné la première place à la couleur dans ses tableaux et avait fait preuve d’une grande audace dans l’emploi de tons francs. Paul Signac, théoricien du groupe néo-impressionniste, fait de lui le premier jalon de cette révolution moderne de la couleur dans son texte fondateur, « D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme », publié en 1898 dans La Revue Blanche.
Roses : la couleur expressive
Dans les dernières années du siècle et au début du XXe siècle, à une période de grande effervescence théorique et artistique, émergent de nouveaux mouvements (nabis, symbolisme, fauvisme) pour lesquels la couleur tient une place majeure. Elle exprime désormais les émotions de l’artiste. Dans ce contexte, les œuvres impressionnistes abordent la couleur sous un angle en partie renouvelé. Dans les toiles tardives de Monet, l’artiste ne joue plus sur les vifs contrastes mais sur la douceur d’associations harmonieuses et l’usage d’une gamme de tons nouveaux, notamment des roses. Renoir transforme aussi sa palette, le regard, tourné vers les peintres du Louvre ses aînés ; il s’emploie à traduire l’éclat et la transparence des chairs féminines avec de lumineux tons de roses et des rouges francs. Cézanne, de son côté, face aux paysages de sa Provence natale, élabore un système coloré qui fait de la peinture une « harmonie parallèle à la nature ». C’est en Provence également, à Arles, que Vincent Van Gogh libère définitivement la puissance expressive et symbolique des couleurs, ouvrant le chemin aux grandes expérimentations du XXe siècle.